Le cahier de Camille
Chapitre 2
Remerciements et avertissement

Merci à Camille Destouches…sans qui les origines, les impressions, les souvenirs retracés tout au long de ce recueil nous laisseraient dans l'ignorance sur la vie et le destin de nos ancêtres …

Merci à Dominique, Géraldine et Philippe Parasote-Millet dont l'apport a été considérable pour que le document source puisse donné naissance à ce récit mis à disposition du site de Chaumussay qui peut ainsi retrouver la vie des siècles derniers.

Chapitre 2- Mon tonton de Preuilly

« L'un de ces garçons, l'aîné, je crois, alla se fixer à Preuilly. Je ne connus pas ce grand oncle, ni sa première femme. Mais, je connus ma grande tante, sa seconde femme. Mes souvenirs sur elle se bornent à deux anecdotes.
La première visite, qu'en compagnie de ma mère, je fis, fut à Boussay, localité située à 6 kilomètres de Chaumussay.
Nous étions partis à pieds. C'était à la belle saison. Il faisait beau et sec, heureusement d'ailleurs, car le trajet que nous empruntions, qui était le plus court, était composé de chemins de traverse impraticables en hiver.
Je me souviens d'être passé aux villages des Thurinières, d'avoir gravi une monticule, qui sépare deux vallons, d'être descendu sur une « quinte » caillouteuse, où nous traversâmes le hameau de Warton, fondé, dit-on, par les Anglais, d'où son nom à consonance anglicane.
Puis, continuant le chemin, parsemé d'ornières, nous croisâmes une voie abandonnée, rectiligne, solidement pavée de gros blocs de silex tassés, qui, me dit ma mère, était une ancienne voie romaine.
Traversant le gros village de la Boissière, nous descendîmes à Boussay, tapi dans un vallon.
Au centre du pays, l'église moderne et sans intérêt. A sa gauche, le presbytère.
Cet ecclésiastique était âgé ; octogénaire, je crois.
La maison, elle-même, était vétuste, mais bien tenue. Un jardin avec des massifs de fleurs et des arbres fruitiers ; c'est tout ce qui me reste du cadre.
Par contre, je fus stupéfait de voir ce vieillard faire de la tapisserie.
Il était chaussé, chose rare chez un prêtre, d'amples et confortables pantoufles, dont le dessus, en canevas, était orné de dessins floraux, aux teintes vives : rouge, vert, bleu, jaune.
Ces fantaisies, aux pieds de ce vieux curé de campagne éclaboussait la soutane râpée et la faisait paraître plus élimée encore.
Sur la table, qui tenait lieu de bureau s'étalait un amas d'ouvrage de tapisserie, auquel travaillait le prêtre. De ma tante, je ne saurais qu'en dire, tant il est vrai que les souvenirs d'un enfant sont en fonction de l'objet qui frappe le plus son imagination. »

La grange à Baptiste

« Nous fîmes, ma mère et moi, quelques années plus tard, une autre visite à cette même tante. Le vieux curé, était décédé.
Ma grand' tante était entrée comme cuisinière au château de Rouvray, près de Chambon. Cette visite fut une fête et une équipée. Ayant louée, à un voisin, un âne et sa charrette, nous partîmes tous les trois, par une route monstrueuse et accidentée. Il y avait à parcourir une vingtaine de kilomètres, aller et retour. Une promenade en charrette à âne est toujours un ravissement pour les enfants.
Assis tous les trois sur la banquette, ma mère à droite, pour conduire, nous deux à sa gauche, nous disputant pour ne pas occuper la place du milieu, car c'est beaucoup plus agréable d'être sur le côté, d'où l'on voit mieux tout ce qui se passe : la roue qui tourne, les tas de cailloux qui bordent la route, les chiens qui jappent, en poursuivant la carriole, les poules qui s'effarent et volent par-dessus la haie, nous partîmes un matin.

Notre bourrique n'était pas pressée.

Trottinant à la descente, elle montait les côtes à une prudente allure.
Nous vîmes au passage la « grange à Baptiste », célèbre dans le pays, parce qu'elle abritait les instruments aratoires d'un vieux gars, plus que sexagénaire, célibataire endurci, (d'ailleurs quelle femme en aurait voulu pour mari) qui, un peu hurluberlu, habitait dans le bourg, une masure en ruine et dont les champs entouraient la grange.
Ce qui expliquait la célébrité de cette grange, c'est que son propriétaire y venait toujours labourer au clair de lune. Certains le disaient sorciers ? C'était lui faire beaucoup d'honneur !
Baptiste était un sage et un philosophe, sans le savoir, il se souciait peu de l'opinion de ses concitoyens.
Passé la grange à Baptiste, l'on traversait un bois de pins aux effluves embaumés. La route était bordée de bruyères, qui agitaient leurs petits grelots rose et lilas, et de genêts, aux pétales d'or. Au milieu du bois, se cachait l'étang à « Monsieur le curé », délicieux endroit de pêche et de chasse, d'où l'on avait sur la vallée de la Creuse, une splendide vu panoramique.
Au premier plan, blotti dans un vallon ombreux, le château de la Custière, tout blanc sur un fond vert, lançait dans l'azur une gracieuse tourelle, gentiment coiffée de bleu. Tout au fond de l'horizon, l'imposant château de Rocreuse, orgueilleusement juché sur un roc, dominant la rivière, se détachait en clairsemée la sombre forêt de Croie, dont les futaies se profilaient en vert brun sur toute la ligne des coteaux poitevins.

Souvenir souvenir

Continuant notre route, nous abordâmes la descente qui venait au bourg de Chambon d'où nous sortîmes pour aborder la grande route.
Une longue allée bordée d'arbres touffus, menait au château de Rouvray. Celui-ci, caché au fond de son parc, se nichait au pied d'un coteau qui, le protégeant du vent du Nord, en rendant le séjour fort agréable dans la saison froide.
Ce qu'était ce château ? Je n'en ai conservé qu'un souvenir très imprécis. D'ailleurs, nous ne l'avons pas visité.
Une seule chose me frappa : la cuisine, ou nous fûmes reçus. Immense, elle était au rez-de-chaussée.
C'était une pièce claire, aux murs blanchis à la chaux, flanquée de deux larges fenêtres et étalant une énorme cheminée, sous le manteau de laquelle s'abritait un tournebroche monumental, avec poids et contrepoids, véritable travail d'art.
Les plus belles pièces de vénerie devaient ici pouvoir rôtir très à l'aise.
Un fourneau de cuisine, de dimensions respectables, trônait à côté.
Mes yeux n'étaient plus assez grands pour tout contempler. Car, il y avait aussi tout un bataillon de casseroles, bassines, louches, écumoires en cuivre rouge, qui étincelait le long des murs.
Et une table ? Monumentale ! Large, épaisse comme je n'en avais jamais vu. Deux bancs l'encadraient qui pouvaient bien contenir trente personnes.
Cette cuisine était un monde ! Aussi, éclaboussa t-elle le souvenir de la tante ».
Alphonse s'interrogea sur les composantes du souvenir. Est-ce la grand' tante qui lui rappela la cuisine du château ? Est-ce l'inverse ? A partir de quel âge fabrique t-on ses images qui resteront à jamais gravé dans nos têtes ? Pourquoi se dégage t-il une telle impression autour d'un événement, d'une observation, d'un contacte ? Il aurait pu décrire tous les objets, toutes les odeurs, toutes les saveurs. Ce monde était SON monde d'enfant émerveillé. Mais déjà la chandelle s'éteignit sur la feuille fraîchement écrite et Alphonse fit de beaux rêves.

(à suivre)

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Mise à jour V2.0 Ven 11 juin 2010