Le cahier de Camille
Chapitre 13
Remerciements et avertissement

Merci à Camille Destouches…sans qui les origines, les impressions, les souvenirs retracés tout au long de ce recueil nous laisseraient dans l'ignorance sur la vie et le destin de nos ancêtres …

Merci à Dominique, Géraldine et Philippe Parasote-Millet dont l'apport a été considérable pour que le document source puisse donné naissance à ce récit mis à disposition du site de Chaumussay qui peut ainsi retrouver la vie des siècles derniers.

Chapitre 13- Tournées de pains à Chaumussay

« La profession de boulanger à Barrou ne correspondait plus guère aux aspirations de Jérémie.
Aussi, lorsque son frère, Pierre, fut de retour du régiment et marié, est-ce lui qui prit la boulangerie paternelle, alors que Jérémie partait à Tours, où il exploita, dans l'un des plus vieux et des plus pittoresques quartiers de la ville, le magasin de la 'Civette', tabac et bar.
Là, il se fit un nom et une réputation. Là, il put donner libre cours à ses aspirations ; là il trouva but à sa vie.
Il fut secrétaire du Comité Directeur des Combattants de 1870, membre de nombreuses Amicales et Sociétés littéraires, artistiques, au sein desquelles il se fit remarquer, par ses talents de société et par la subtilité de son esprit.
Il fréquentait les milieux artistiques fort nombreux en la capitale tourangelle : littérateurs, écrivains, peintres, sculpteurs, statuaires, etc.
Mais il cultivait surtout une passion : les fleurs. Aussi, avait-il loué, dans l'île, que coupe le pont suspendu de St Symphorien, en amont du grand pont de pierre, aux magnifiques arches en anse de paniers, avait-il loué, dis-je, un jardin.
Mais quel jardin ?
C'était un véritable nid de verdure, une apothéose de tout ce que l'art de l'horticulture compte de splendeurs.
L'emplacement de ce jardin était déjà une merveille. De quelques mètres élevée au dessus du fleuve, l'île Aucard, était divisée en une infinités de jardins, tous cultivés et tous coupant l'île sur le travers.
De telle sorte que les deux extrémité de ces jardins étaient limitées par un bras du fleuve, très large, face à Tours, plus étroit du côté de son faubourg de St Symphorien.
Aux beaux jours de l'été, ce jardin était un séjour enchanteur. Enserrée dans les sables blonds, au travers desquels de larges rubans d'argent, scintillant au soleil et miroitant sous la caresse du vent qui, ondulant sa surface mobile, faisait de la Loire, un miroir immense, dans lequel se reflétait l'azur d'un ciel tendre, l'île Aucard était un véritable lieu de délices.
Très ombragée, recevant du fleuve sa brise fraîche et toute parfumée des senteurs que lui prodiguaient les fleurs de ces jardins, cette île était aussi un agréable lieu de repos. Là, plus de bruits ; plus de tumulte. C'était le calme apaisant, au beau milieu des 450 mètres qui séparaient les deux rives. Là, tout en étant entre deux quartiers de la ville, l'on était à la campagne. Que dis-je ? L'on était en plein rêve, en pleine poésie.
La silhouette massive de la tour de Guise se profilait au premier plan, sur la rive Sud ce, pendant qu'au second plan, les gracieuses tours de la Cathédrale détachaient leurs dentelles de pierres ajourées sur le ciel azuré de Touraine. Plus à l'ouest, c'étaient les tours Charlemagne et de l'Horloge, qui encadraient le dôme romano byzantin de la basilique St Martin.
Du côté Nord, les châteaux, les villas de St Symphorien et de Ste Radegonde se perdaient dans les arbres et la verdure, tandis que vers l'Est la lanterne de Rochecorbon dominait les coteaux où mûrissait le célèbre vin de Vouvray.
Si les yeux se portaient sur la Loire, c'était pour y découvrir les ponts qui successivement franchissaient le fleuve, portant d'une rive à l'autre une véritable marée humaine, ou la floconneuse fumée blanche d'un train en marche.
À l'entrée du jardin de Jérémie était aménagée une coquette cabane, qui recélait de nombreuses bouteilles de ces grands crus de Touraine, vins de la Loire, des côtes du Cher ou du Chinonais.
C'est là, qu'avec ses amis, il se plaisait à déguster, à savourer cette divine liqueur, en devisant de choses gaies, en petit comité.
Outre les légumes indispensables, ce jardin était un tapis de fleurs. Les roses étaient partout. Jérémie avait plus de 350 variétés de rosiers, qu'il entourait des soins les plus tendres, les plus vigilants, les plus éclairés. Car, dans la culture de la reine des fleurs, cet amateur était devenu un artiste.
Artiste, il l'était également à d'autres points de vue. Et c'était une des raisons qui le faisait, presque chaque jour, s'isoler dans son jardin, pour y cultiver la poésie. Jérémie faisait des vers !
Oh ! Toujours en amateur et nullement pour les livrer à la postérité. C'était pour lui un délassement, une satisfaction intime et rien de plus.
À l'automne, les chrysanthèmes emplissaient de leurs lourds panaches les parterres soigneusement peignés. Et lorsqu'arrivait l'été de la St Martin et, qu'avec ma mère, nous allions, enfants, en pèlerinage à Tours, sa joie était de nous montrer sa collection.
De ce fait, Jérémie eut donc, pendant les 25 années environ qu'il passa à Tours, une double vie. Partie à son commerce, où il se dépensait sans compter, partie à son jardin, où en soignant amoureusement ses fleurs, il se délassait le corps et laissait rêver son esprit.
Lorsqu'il fallut envisager la nécessité d'abandonner le commerce, pour se retirer à la campagne, ayant quelques vignes à Barrou, il fit l'acquisition d'une maison et d'un jardin et vint, un beau jour, s'y fixer, lorsque sa demeure fut mise en état.
Hélas, la guerre de 1914 lui a fait perdre une grande partie de son patrimoine, qui se composait de valeurs russes.»

Tournées de pains à Chaumussay

« Barrou possédait alors un desservant, l'abbé Cuvier, jeune prêtre doublé d'un musicien consommé. Il avait organisé une chorale mixte qui, malgré l'absence de l'étude du solfège, jouissait d'une certaine réputation dans le voisinage. Pierre avait un organe remarquable et ne manquait une seul fois la chorale.
C'était une distraction pour le nouveau boulanger. C'est que, pendant son passage à la caserne, il avait suivit l'école du soldat et apprit ce qu'il n'avait jamais pu fixer dans sa jeunesse.
Continuant la tradition inaugurée par son père et fidèlement suivie par son frère, c'était Pierre qui, les dimanche, mardi et vendredi de chaque semaine, venait apporter le pain à Chaumussay qui, à cet époque, n'avait pas de boulanger.
De fort loin nous l'entendions venir. Le collier de sa jument était agrémenté d'un chapelet de grelots qui le signalait à sa clientèle, égrené dans les hameaux qu'il traversait. De la sorte, il ne perdait pas de temps, car la ménagère était, à son passage, sur le pas de la porte, la coche à la main.
Toujours jovial, d'excellente humeur, serviable à l'extrême, Pierre se chargeait de toutes les commissions. Mais, sa tête lui jouait encore des farces, car il en oubliait souvent. Aussi, notait-il sur son calepin.
S'il était seul dans sa voiture, ce qui était rare, il chantait tout le long du chemin. Mais, le plus souvent, les personnes qui avaient à effectuer le trajet Barrou Chaumussay ou inversement, usaient de son obligeance et de sa voiture, sans bourse délier. Pour lui, c'était un service, rien de plus.
Sa tournée du bourg terminée, Pierre venait à la maison de mes parents, déposer le pain qui était nécessaire, pour attendre sa livraison future.
L'heure de son arrivée coïncidait généralement avec celle de la sortie de classe. Aussi, mon frère et moi, ne nous faisions pas prier pour grimper dans sa voiture et aller, avec lui, continuer la tournée dans les hameaux environnants : Jussay, la Croix Jourdain, Benay et parfois le moulin d'Humeaux, où il allait chercher de la farine.
Et, en chœur, nous chantions tous les trois.
La joie, la gaieté étaient de rigueur et Pierre était si heureux près de nous !
Nous lui rendions bien son affection, d'ailleurs toujours enjoué, rieur, bon enfant, il criait et tempêtait pour presque rien. C'était une soupe au lait ! Il s'emballait aussi vite qu'il se calmait et, chez lui, toute sa fureur se traduisait en paroles, aussitôt oubliées.
De ressentiment, je ne crois pas qu'il en ait jamais eu contre quelqu'un.
Quel bon bonhomme nous avions là !
Resté seul le boulanger à Barrou, pendant la guerre 1914-18, Pierre dut alimenter plusieurs localités, dans lesquelles les boulangers étaient mobilisés : La Guerche, Chambon et Chaumussay, en plus de Barrou. Son travail devint épuisant, aussi y contracta t-il le mal qui devait prématurément l'emporter. »
La sale guerre

« Charles de haute stature, il devait mesurer autour de 1m80, mince, souple, visage ovale, yeux et cheveux noirs, c'était un magnifique garçon aussi bon que brave.
Je me souviens de lui, lorsque je revins d'Algérie. Il était venu passer quelques jours à Chaumussay accompagné de sa jeune sœur : Madeleine.
J'avais 24 ans ; lui environ 9 ou 10 ans. Il était gentil, mignon, prévenant, affectueux, plein d'attentions pour tous. Il grandit, puis ne voulant pas rompre la tradition, il fut boulanger.
Il fit son apprentissage auprès de son père. Ses distractions, il les prenait à Lésigny, distant de 1500 mètres de Barrou. Ayant appris la flûte, il faisait partie de la fanfare de ce coquet petit pays.
Charles était un garçon sérieux, gai, mais très réfléchi. En outre, tout au début de la guerre, il seconda son père, dont il partageait le travail. De temps à autre, il faisait seul la tournée de Chaumussay.
C'est ainsi qu'un jour où, par suite de la guerre, il était question de rationner le pain et que ma mère lui exprimait ses craintes :
- « Ne crains rien tante ! Tant que je serai là, tu ne manqueras jamais de pain, ni d'autre chose ! »
C'était une pâte, ce garçon. Et si spontané, si sincère.
Mais, la guerre se poursuivant, son tour vint de partir. Il fut versé au 409ème d'Infanterie, régiment de marche du 9ème Corps.
Si, de toutes les armes, l'infanterie était alors la reine des batailles, c'était aussi une terrible mangeuse de vies humaines.
Charles fit ses classes à Tours, puis il partit au front. Son départ dut avoir lieu vers la mi 1916, c'est-à-dire à l'époque où, menacé de toutes parts, Verdun était devenu un enfer. Il fut jeté dans cette fournaise.
Ce que l'on sait de lui, concernant son court séjour sur les rives de la Meuse, se résume en ceci, qui fut, par la suite, narré à Pierre, par l'interlocuteur de son fils.
Un jour, Charles croisa un poilu qui le dévisagea avec insistance, puis s'approchant lui dit :
- « Mais je te connais toi ?
- Cela se peut ! En effet, ta figure me rappelle un visage qui ne m'est pas inconnu.
- D'où es-tu ?
- Moi, je suis de Barrou, sur la Creuse.
- Et qui es-tu ?
- Je suis le fils du boulanger.
- Oh ! Mais alors, cela ne m'étonne plus. Et tu ne me remets pas ?
- Non ! Tu es de par là, toi aussi ?
- Moi, mon vieux ! Je suis le curé de la Guerche ».
La Guerche est à 3 kilomètres de Barrou et Charles, qui allait y livrer le pain, était connu de tous les Guerchois. Ce fut l'occasion de trinquer ensemble.
Ce devait, hélas ! être pour mon cousin le dernier point de contact avec gens de son pays.
Il monta en ligne et jamais plus on ne le revit. Il fut, je crois, agent de liaison, poste particulièrement périlleux, au cours duquel l'on est isolé le plus souvent, donc privé de tout secours.
Les nouvelles cessèrent d'arriver. Ce fut l'angoisse à la maison, angoisse qui dura des mois. Etait-il prisonnier ? Blessé ? Mort ? Journées et nuits tragiques se succédèrent.
Enfin, un jour une communication officielle avertit ses parents que leur fils était disparu. Toutes les démarches entreprises demeurèrent vaines. Le pauvre Charles, comme tant d'autres, hélas ! Avait dû être déchiqueté par un obus.
Longtemps encore, ses parents s'efforcèrent de conserver l'espoir que leur fils avait été capturé, blessé peut être et que, prisonnier, il était dans l'impossibilité d'écrire.
Mais la guerre pris fin. Les prisonniers rentrèrent. Jamais Charles ne revint.
Sa disparition fut, pour ses parents, un véritable crucifiement. »

Faust

« Madeleine était une brune, aux yeux gris vert, au visage d'un bel ovale régulier. Elle était tellement gracieuse, aimable, avenante, mignonne que c'était plaisir d'être en sa société.
Elle attirait par son sourire et sa bonne humeur.
Douce, gentille, très sensible et fort affectueuse elle était, de l'avis de ceux qui avaient connu sa mère jeune fille, celle qui lui ressemblait le plus, tant au moral qu'au physique.
C'était presque une réincarnation.
D'environ 20 ans plus jeune que moi, j'eus peu d'occasions de la bien connaître en son enfance. Je la vis à mon retour d'Algérie, alors qu'elle avait 4 ou 5 ans et qu'elle était venue, en compagnie de Charles, passer quelques jours chez mes parents.
C'était une enfant au regard candide, aux beaux grands yeux étonnés, qui était souple de caractère et très aimante.
Je la retrouvai à mon retour de la guerre de 1914/18 alors que, jeune fille, elle aidait ses parents, dans leur lourde tâche, et qu'elle secondait sa mère déjà bien usée.
Je partis à Paris, m'installer rue de Penthièvre. Quelques mois plus tard, Madeleine vint chez sa sœur, séjourner pendant un mois environ.
Madeleine ne connaissait pas Paris. Je voulus lui montrer quelques unes des beautés de la capitale. Pour ce, ayant loué deux places pour la représentation de Faust, à l'Opéra, j'allai, en taxi, chercher ma cousine et je l'emmenai au spectacle.
Ce fut un éblouissement pour elle ; aussi, je crois qu'elle fut plus émerveillée que surprise. Ce qu'elle vit et entendit la surpassait.
Combien son Barrou était loin ! »…

C'est grâce à Dominique et à Philippe Parasote que le document source de ce récit vous parvient…
Il ne tient qu'à vous de compléter le cahier d'Alphonse. Cherchez dans vos greniers, dans les malles, contactez vos parents, vos grands parents… et ouvrez de nouveaux chapitres.

(à suivre... si vous le voulez)

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Mise à jour V2.0 Ven 11 juin 2010