Le cahier de Camille
Chapitre 7
Remerciements et avertissement

Merci à Camille Destouches…sans qui les origines, les impressions, les souvenirs retracés tout au long de ce recueil nous laisseraient dans l'ignorance sur la vie et le destin de nos ancêtres …

Merci à Dominique, Géraldine et Philippe Parasote-Millet dont l'apport a été considérable pour que le document source puisse donné naissance à ce récit mis à disposition du site de Chaumussay qui peut ainsi retrouver la vie des siècles derniers.

Chapitre 7- Le forgeron Canaque

« Le deuxième des garçons : Hubert, était le portrait de son père.
Moins grand que son aîné, mais solidement bâti, c'était un brun aux yeux noirs ; il portait la moustache à l'impériale, petite barbiche pointue au menton. C'était vraiment un joli garçon.
Il fit son apprentissage de maréchal ferrant chez le père Verneaud, dont la forge faisait face à la demeure de mes grands parents.
Etant tout bambin, je traversais la rue et j'allais voir cousin Hubert. C'était tellement intéressant de le regarder tirer le gros soufflet, qui lançait, à chaque bouffée, une flamme rouge et bleue dans la forge.
Puis, quand l'apprenti forgeron sortait du brasier un fer tout rouge, qui, projetant une gerbe d'étincelle illuminait toute la boutique, noire de fumée. J'écarquillais des yeux, en me reculant prudemment.
Un jour que, renouvelant cette opération, cousin Hubert lançait à terre, pour le laisser froidir, le fer tout rouge qu'il venait de marteler, je m'élançai pour le ramasser.
C'était si joli ce fer rouge, qui changeait de couleur. Hubert n'eut que le temps de se précipiter sur moi avant que je n'aie la main brûlée. Je n'eus plus ensuite envie de toucher aux fers à cheval, ne fussent-ils pas rouges.
Cousin Hubert tira au sort à 20 ans, ainsi que cela se pratiquait alors. Le numéro qu'il sortit le désignait pour les colonies. Aussi, fut-il incorporé dans l'infanterie de marine et alla t-il rejoindre son corps à Rochefort.
Les soldats accomplissaient cinq ans de service. Après avoir séjourné environ un an dans le port charentais, Hubert fut désigné pour partir à la Nouvelle Calédonie, en Océanie.
Il y termina son congé et passa ainsi environ 4 années à Nouméa, capitale de l'île des Canaques.
Son retour s'effectua sur un voilier. Aussi, le colonial mit-il quatre mois pour regagner la France.
Je le vois encore, descendant, à la gare de Chaumussay au train qui le ramenait. Sur le quai, sa sœur, cousine Noémie, et moi l'attendions.
Toujours beau garçon, mais plus bronzé, plus mâle, plus homme enfin, il fut accueillit par toute la famille avec enthousiasme.
C'est, qu'en effet, il avait tellement à raconter !
Il venait de si loin, il avait tant roulé, tant vogué, il avait vu tant et tant de pays, côtoyé tant de races, fréquenté tant d'individus disparates que nous, les gosses, étions suspendus à ses lèvres.
Pour nous, tout ce qu'il contait était autant d'histoires merveilleuses. Et la nuit, nous rêvions de Canaques, de bagnards, de forçats, d'évasions, de chasse dans la brousse, etc.
Cousin Hubert, quelques semaines plus tard, trouva du travail chez un maréchal de Betz, près de Ligueil.
Il épousa, par la suite, la fille de son patron, prit la forge à son compte et réussit fort bien dans ses affaires. Deux enfants, fille et garçon, naquirent et grandir alors que j'avais quitté Chaumussay. Aussi les ai-je peu connus, ne les ayant fréquentés que de rares fois à l'occasion du mariage de Gustave, le fils, et une ou deux fois à Chaumussay, quand ils y vinrent. »

Construction du chemin de fer

« Eugénie, le troisième enfant de tante Madeleine, avait près de dix ans, quand je vins au monde.
Pour mon frère et pour moi, ce fut toujours : Noémie.
Elle était la filleule de mon père et, n'ayant jamais quitté son pays natal, notre enfance s'écoula t-elle à ses côtés.
Beaucoup plus qu'aucun de nos cousins, elle fut mêlée à notre existence quotidienne.
D'une constitution plutôt délicate, son enfance fut assez scabreuse. Mais la puberté la fit se développer normalement et elle devint une fille robuste et bien plantée.
D'ailleurs la profession, qu'étant jeune fille, elle exerçait ne pouvait que lui être favorable physiquement, puisqu'elle était astreinte à faire le plus souvent de la marche matin et soir. Mise en apprentissage comme couturière, elle suivait sa patronne dans ses travaux, à la journée, dans les hameaux épars sur le territoire de la commune.
Au temps de sa jeunesse scolaire, Noémie était fréquemment à la maison de mes grands parents, car sa mère veuve, pour gagner sa vie, devait faire ses journées.
Aussi, n'étant pas chez elle, tante Madeleine confiait-elle sa fille à son frère. Lorsque Noémie fut en age de travailler, elle venait, le dimanche, aider au service du café. Aussi fut-elle toujours à nos côtés.
Dans ma prime enfance, elle fut pour moi comme une grande sœur. Fillette, elle était chargée de promener le bambin que j'étais.
C'est ainsi qu'un certain jeudi, où Noémie avait compter d'aller, avec ses compagnes, voir les travaux de la ligne de chemin de fer, alors en construction et qui coupe le bourg de Chaumussay en deux tronçons, elle fut invitée, par ma mère, à aller promener son jeune cousin.
Refoulant son dépit et sa déception, Noémie stoïquement s'attela à la voiture et remorqua le marmot.
Mais, ne voulant pas rater l'occasion prévue, Noémie, à travers les cahots d'un affreux chemin de traverse, pris la direction de Collinet, où ses camarades l'attendaient. A cet endroit, la colline était éventrée pour livrer passage à la voie ferrée et, un mur haut et épais, était édifié pour soutenir les terres. Nous y passâmes l'après midi et je fus ramené sans encombre. »

Que la fête continue

« Comme toute jeune fille, Noémie aimait chanter. Mais, si le timbre de sa voix n'était pas désagréable, elle chantait épouvantablement faux. Quand elle entonnait la chanson des Blés d'Or : « Mignonne, quand le soir descendra sur la terre », c'était à fuir.
Pour ma part, j'en restais décontenancé et dérouté, car je ne pouvais jamais la suivre, en ses inflexions discordantes.
Elle épousa Gustave, l'ouvrier de mon père. J'étais garçon d'honneur au mariage, avec Madeleine Louise, la fille adoptive de cousin Ernest, comme cavalière. Je devais avoir onze ans.
Pendant la messe, cousin Albert, qui était arrivé en retard, me fit signe. J'allais le trouver.
Quelles fut ma surprise et ma joie, quand je le vis glisser, dans la poche de mon gilet, une montre en argent, fixée par sa chaîne à l'autre poche.
Je n'en pouvais croire mes yeux, moi qui jamais n'avais eu aucun bijou. Aussi, toute la journée, les assistants s'amusèrent-ils à me demander l'heure. Cinquante fois, peut être, je dus satisfaire à ces désirs.
Il avait été convenu que le soir, au dîner, mon frère et moi, chanterions ensemble une chanson, que tante Jeanine, de Barrou, nous avait apprise : L'épicier.
Le moment venu, nous fûmes invités à nous exécuter. Je me levai, mais mon frère, intimidé sans doute, refusa obstinément de chanter. Exaspérée, ma mère lui envoya un revers de main par la figure et le pauvre Martial fut mené au lit.
Quand, quelques heures plus tard nous allâmes nous coucher, mon frère, la face tuméfiée, ronflait, portant la trace des quatre doigts maternels. Ma mère regretta la vivacité de son geste, dont il ne restait plus trace le lendemain. D'ailleurs, c'était oublié et la fête continua. »

(à suivre)

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Mise à jour V2.0 Ven 11 juin 2010