Le cahier de Camille
Chapitre 8
Remerciements et avertissement

Merci à Camille Destouches…sans qui les origines, les impressions, les souvenirs retracés tout au long de ce recueil nous laisseraient dans l'ignorance sur la vie et le destin de nos ancêtres …

Merci à Dominique, Géraldine et Philippe Parasote-Millet dont l'apport a été considérable pour que le document source puisse donné naissance à ce récit mis à disposition du site de Chaumussay qui peut ainsi retrouver la vie des siècles derniers.

Chapitre 8- Sorcellerie à Chaumussay

« Si Gustave n'avait pas été un 'type', dans toute l'acceptation du mot, il n'aurait pas justifié qu'on lui consacra un chapitre. Mais, l'ancien ouvrier de mon père, qui devint l'époux d'Eugénie, a défrayé les annales locales, par les farces qu'il a multipliées.
Je n'en citerai que quelques unes, pour la raison que je ne les connais pas toutes et que, d'autre part, leur narration remplirait plusieurs cahiers.
Gustave était originaire de Lésigny, en face de Barrou, sur l'autre rive de la Creuse. Un de ses concitoyens, le père Cornet, que mon père employait comme ouvrier, le fit embaucher à ses côtés. Gustave resta environ une dizaine d'années à la maison.
Vers 1890 au cours d'un rude hiver et alors que neige et verglas recouvraient le sol, un paysan du voisinage qui avait capturé deux blaireaux vivants, vint, au bourg de Chaumussay, exhiber sa capture.
Gustave devait avoir 22 ou 23 ans. Il se rendit, avec une partie de la population, pour voir ces animaux. L'un de ceux-ci ayant paru vouloir foncer sur les assistants, Gustave fit un écart, glissa et se fit, à la jambe droite, une fracture ouverte, qui le tint pendant près de deux mois dans le plâtre.
La chambre de Gustave était au dessus de l'atelier, dans une mansarde confortable. Mon père y installa un poêle et, pour distraire le blessé, nous y passâmes les veillées durant tout l'hiver. »
Outre les farces déjà signalées antérieurement, Gustave continua, toute sa vie durant, à amuser les initiés. »

"C'est ainsi qu'un après midi d'été où, musant à la porte de sa demeure, Gustave cherchait un partenaire pour aller au café, il vit arriver un jeune gars, d'allure rustaude, qui menait une bicyclette à la main et semblait chercher quelqu'un.
L'accostant Gustave lui dit :
- « Qu'est-ce qui t'arrive, mon gars ?
- Ma bicyclette est crevée. J'ai bien essayé de réparer, mais ça n'a pas tenu. Et depuis au moins deux kilomètres, je traîne mon vélo. Y a t il ici quelqu'un qui pourrait me l'arranger ?
- Certainement reprit Gustave. Mais, à une condition !
- Laquelle ?
- Tu n'as rencontré personne sur la route, en venant ?
- C'est-à-dire que pendant que j'essayais de réparer, il y a un homme qui m'a croisé et qui a paru s'intéresser à ce que je faisais.
- Comment était-il ?
L'autre dépeignit le paysan
- C'est lui ! s'écria Gustave. Eh ! bien, mon ami, tu es ensorcelé !
- C'était donc un sorcier ? On ne l'aurait pas dit.
- C'en est un cependant. Et pas bon, car il fait ses coups en dessous et sans qu'on s'en doute.
- Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ?
- Nous allons aller trouver Larcher. »
Celui-ci était un compère, cordonnier et buraliste, co-exécuteur des farces anodines d'un trio, dont le troisième personnage était Babin, le maréchal.
Larcher consulté estima que l'on pouvait, après avoir copieusement trinqué, aux frais de l'arrivant, tenter une nouvelle expérience. Pendant que Larcher collait des rustines, Gustave, sous prétexte de l'aider, enlevait subrepticement la dissolution. Aussi, le résultat fut-il négatif.
- « Inutile d'insister, dirent les deux spécialistes. Rien à faire tant que tu ne seras pas désensorcelé. »
Babin consulté, à son tour, estima que l'affaire était trop récente pour que l'on puisse agir avec certitude. Il fallait attendre au lendemain.
Aussi, le cycliste, qui venait de la Guerche, à 12 kilomètres de Chaumussay, fut-il amené chez mes parents, ou il dîna et coucha, non sans avoir, comme il se doit, régalé les braves gens qui prenaient soin de lui.
- « Demain matin, viens me voir à 8 heures, lui dit Babin. Seulement, sois à jeun, sans cela je ne pourrais rien faire. »
Pendant que le crédule Guerchois soupait, les trois compères réparèrent le vélo, tout en le laissant dégonflé.
Le lendemain matin, à l'heure dite, le voyageur était au rendez-vous. Babin lui dit :
- « Tu sais où est la fontaine de St Marc ?
- Oui, dit l'autre.
- Eh ! Bien, va t-y laver sous le truton (cascade). N'aies pas peur de te frotter la tête, les bras, les mains dans cette eau. Puis, tu reviendras nous retrouver chez Larcher ».
Ce qui fut dit fut fait.
Rentrant chez le buraliste, il trouva nos trois compagnons assis devant une bougie allumée, au dessus de laquelle Babin faisait des incantations. Lorsque ce dernier eut fini :
- « Va gonfler ton vélo, lui dit-il. Si tu es désensorcelé, il ne doit plus perdre ».
Confiant, le gars gonfla sa machine qui, en effet, ne perdit plus. (Et pour cause !)
On s'attabla devant un litre de vin blanc, on cassa la croûte et le cycliste régla l'addition.
Au moment de partir, Gustave sortit dans la rue et, négligemment, se rendit au carrefour.
Explorant les rues dans toutes les directions, il revint en courant :
- « Le voilà !
- Qui ça ?
- Celui qui t'a ensorcelé. Il vient par le haut du bourg. Ne passe pas par là, mais prends la route de Pressigny et file en vitesse »
Enfourchant sa machine, le pauvre gars, crispé à son guidon, partit comme une flèche, pendant que, derrière lui, les trois compères se tordaient de rire. »

La vieille de la Forge

« Au village du Puy, distant de 3 kilomètres de Chaumussay, était gagé un domestique de ferme, gars naïf, bébête, proie toute indiquée pour servir de cible aux farces de Gustave.
Un jour qu'il était venu, chez ce dernier, chercher des sabots, celui-ci lui dit :
- « Sais-tu jouer de la vielle ?
- Non, répondit l'autre.
- Tu devrais l'apprendre. Toi qui n'es point bête, tu ferais danser, le dimanche au bal.
- Mais, c'est que je travaille toute la journée.
- Eh !bien, le soir après souper, tu es libre. Viens donc et on te l'apprendra »
Deux ou trois fois par semaine, mon gars arrivait vers les 8 heures du soir. On était en hiver. Amené chez mes parents, le trio déjà nommé, juchait l'apprenti musicien sur une chaise, préalablement grimpée sur une table. Et, après qu'une planche épaisse ait été glissée sous ses sabots, pour ne pas qu'il endommage la table, la répétition commençait.
Saisissant de la main droite la corne de sa blouse, il tournait celle-ci en rond, pour simuler la manivelle. Puis, avec les doigts de la main gauche, il frappait son genou pour imiter les touches de la vielle. Et, scandant avec son pied droit la mesure des guing et guing guing, qu'il débitait pour rendre le son de l'instrument, il commandait les figures de la danse, exécutées seulement dans son imagination, par de vigoureux : En avant deux les quatre z'autres ; pas tourelle aux autres ; au galop.
Car il ne s'agissait alors que de danser le quadrille. La mimique de l'exécutant, la stupidité de l'exécution, l'incommensurable bêtise de celui qui s'y prêtait, rendait ce spectacle hilarant.
Seulement, tout a une fin. Puis, il faut varier les plaisirs, qui s'émoussent par l'uniformité.
Quand les spectateurs furent blasés, Gustave dit au garçon :
- « Maintenant que tu sais jouer, il te faut trouver une vielle. Va donc chez lle cantonnier, tu lui demanderas de te prêter la sienne. S'il ne l'a pas, il te dira où la prendre ».
Le cantonnier n'avait jamais eu de vielle. Mais, sachant de la part de qui venait le domestique, il comprit de suite :
- « Ma vielle, dit-il, elle est à la Forge, chez le père du cordonnier. Va donc la quérir ».
La Forge était une ferme située à 2 kilomètres environ sur la route de Preuilly. Lorsque le gars s'y présenta il devait bien être près de 11 heures du soir. Tout le monde dormait. Ayant énergiquement secoué les barrières en bois, le pseudo musicien ne réussit qu'à réveiller les chiens, qui se précipitèrent sur lui.
Le pauvre gars n'eut que le temps de saisir un noyer, qui ombrageait à la belle saison l'entrée de la cour et, en hâte, de grimper dedans.
Il y passa la nuit. Car, les chiens, couchés au pied, firent bonne garde, jusqu'à ce que leurs maîtres, le jour levé, intrigués par les grognements, vinrent se rendre compte de ce qui se passait.
Dégoûté, sans doute, de ses débuts en musique, le domestique du Puy, ne revint plus. Il abandonna une carrière pleine de promesses pour ses professeurs, lesquels buvaient copieusement, sans bourse délier, à sa santé et à ses succès. »

L'auberge rue de la gare

Alphonse rédigeait encore et toujours sur la vie de sa famille et de ses amis ; Il s'arrêta un instant sur ses grands parents paternels.
« C'est intentionnellement que j'avais laissé pour la fin de mon récit le quatrième des garçons de mes arrières grands parents paternels : Lucien fut mon grand père, le père de mon père.
Il naquit le 1er janvier 1820 au Grand Pressigny. Je ne sais rien de sa jeunesse. Sans doute dut-il travailler aux champs, jusqu'à son départ pour le régiment. En ce temps là, les soldats faisaient 7 ans de service.
De bonne taille, vigoureux, alerte, bien pris, Lucien fut déclaré bon pour le service.
Il fut incorporé dans les voltigeurs, arme d'élite. Ses classes terminées, il fut désigné pour partir en Algérie, non encore pacifiée à cette époque. Il y partit et y fit toute sa carrière. Pendant sept ans, il se battit là-bas, avec des alternatives de calme sans jamais revoir la France.
Libéré à 28 ans, débarqué à Marseille, il réintégra son pays natal, à pied, par étapes, ainsi que cela se pratiquait à une époque où les chemins de fer n'existaient pas encore. Seules, les diligences assuraient le transport des voyageurs qui, tant pour eux, que pour leurs bagages, étaient en mesure de payer les frais élevés, réclamés par les transporteurs.
Mais, un soldat ne pouvait s'offrir ce luxe. Le seul mode de transport mis à sa disposition était ses jambes.
Couvrir pédestrement quelques 700 ou 800 kilomètres sac au dos, musette et bidon au côté, sans autres provisions que celles que les hasards de la route pouvaient lui procurer, couchant dans les granges, les fenils ou les meules de paille, étant illettré, marchant sans carte, puisque incapable de la lire, si tant est qu'il en existât, paraîtrait une gageure aux soldats de la IVème République, habitués à circuler en train, auto ou avion et à couvrir en quelques heures des trajets que l'on ne parcourait qu'en quelques semaines, il y a de cela un siècle.
Lucien revint chez lui dans les moments troublés de la Révolution de 1848.
Les 7 années passées en Afrique avaient fait de lui un homme mûr, solide, n'ayant peur de rien, très agile, parce que très entraîné aux sports, par la pratique des armes, en un mot, de ceux qu'aujourd'hui l'on appelle : un athlète.
Ce n'était pas un colosse, mais c'était un garçon de bonne taille, qui était en mesure d'assurer lui-même sa défense.
Peu après son retour, il épousa Françoise, petite femme, très effacée, d'une extrême modestie qui, toute sa vie, fut l'humble servante d'un mari qu'elle admirait et qui le méritait bien. Elle fut ma grand-mère.
Aussi calme et douce que son mari était pétulant, exubérant, silencieuse et conciliante, ma grand-mère était d'une méticuleuse propreté et d'un ordre parfait. Poussant l'honnêteté jusqu'au scrupule, elle aurait eu l'occasion d'acquérir une aisance relative, si elle n'avait toujours craint de tromper ses clients, en leur demandant un sou de plus que ce qu'elle estimait juste et équitable.
Car, mes grands parents avaient ouvert une auberge à Chaumussay, où suivant la formule jadis consacrée, on logeait à pied et à cheval.
Quand ma grand-mère servait à déjeuner à quelques voyageurs, elle détaillait scrupuleusement devant celui-ci le prix de revient de chacun des mets servis, auxquels elle ajoutait la boisson.
Et c'est ainsi qu'une côtelette de 6 sous, 2 œufs à 2 sous, une salade que l'on ne comptait pas parce qu'elle venait du jardin, 2 sous de pain et un demi litre de vin, à 3 sous, faisaient un repas de 15 sous.
Heureux temps et heureuses gens, qui, ces derniers se seraient crus déconsidérés, hormis, s'ils avaient majorés leur note d'un sou, indûment perçu !
La conscience avait un sens à cette époque. Et, pour mes grands parents, bonne renommée valait mieux que ceinture dorée.
Combien plus que nous ils étaient près de la vérité !
Et quelle haute leçon de probité !
L'auberge de mes grands parents était située en face de la place de l'église, en plein centre de l'agglomération et à l'emplacement de la rue qui aujourd'hui conduit à la gare.
Deux marches de granit donnaient accès à la porte de la salle commune, unique pièce du rez-de-chaussée. Éclairée sur la façade de deux fenêtres situées de chaque côté de la porte, cette salle, dont les murs étaient blanchis à la chaux était vaste et spacieuse. Une large et haute cheminée occupait le centre du mur de gauche. Au fond et à droite, un escalier de bois montait à l'étage. En face de la porte d'entrée et au fond, une autre porte donnait sur la cour, où se tenaient les communs : écurie, porcherie, couvert, cellier, etc., le tout fermé par une double barrière en bois, à claire voie dans la partie haute.
C'est dans cette maison que je vis le jour le 13 Octobre 1880.
Mon grand père possédait quelques terres :
1. Aux Gratons, plateaux caillouteux, situé entre Claise et Creuse, en bordure de la route qui amène à La Roche-Posay ;
2. à la Villatte, hameau construit à l'abri d'un ancien fief seigneurial, sur le plateau étroit qui sépare la Claise de son affluent, la Muame.
Ces terres étaient, dans l'ensemble, de qualité plutôt médiocre.
Les Gratons étaient pierreux, argileuse et leur terre lourde et froide ne convenait qu'aux céréales, dont la culture était périodiquement remplacée par celle des prairies artificielles.
La Villatte offrait également quelques lots de maigre valeur et d'un faible rendement. Mais, bien que pierreux, les terrains étaient en pente, plus profonds comme sol, moins compacts.
Aussi, la culture en était-elle beaucoup plus variée : vignes, céréales, prairies artificielles et naturelles, bois de pins, dans les parties les plus maigres.
Une grange et une écurie complétaient le lot des biens immobiliers.
L'importance de ce 'bien' n'était pas suffisante pour occuper ni alimenter mes grands parents. Mais elle constituait un précieux appoint pour l'auberge.
L'avoine, nécessaire aux chevaux et moutures de passage, de même que le trèfle, la luzerne et le foin étaient en majeure partie récoltés sur les terres patrimoniales.
Le vin, lui-même, provenait, pour une large part de vignes du maître de céans.
Nullement ambitieux, vivant de peu, mesurant leurs besoins à leurs modiques ressources, mes grands parents coulaient des jours heureux, faits d'une existence paisible, exempte de soucis matériels et doués d'une bonne santé, qui constituait leur seule richesse.
D'ailleurs, en quoi la richesse aurait-elle pu les intéresser ? Mes grands parents étaient gens sages, dans leur extrême simplicité, qui n'était pas exempté de bon sens. Ils savaient pertinemment que l'argent ne fait point le bonheur, mais, qu'au contraire, il est souvent la cause de notre malheur.
La rusticité de leur vie faisait d'eux des êtres parfaitement équilibrés, au point de vue mental, et si l'instruction leur manquait, elle était remplacée par un solide fond de bon sens que rien ne pouvait altérer.
Ils ne connaissaient point la fable du savetier et du financier et si l'argent leur causait quelque souci passager, c'était beaucoup plus en raison de son absence que de sa trop grande abondance. »

(à suivre)

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Mise à jour V2.0 Ven 11 juin 2010