Le cahier de Camille
Chapitre 9
Remerciements et avertissement

Merci à Camille Destouches…sans qui les origines, les impressions, les souvenirs retracés tout au long de ce recueil nous laisseraient dans l'ignorance sur la vie et le destin de nos ancêtres …

Merci à Dominique, Géraldine et Philippe Parasote-Millet dont l'apport a été considérable pour que le document source puisse donné naissance à ce récit mis à disposition du site de Chaumussay qui peut ainsi retrouver la vie des siècles derniers.

Chapitre 9- La Vilatte, la Sinjoirie

La ligne de chemin de fer

« Mon grand père était d'un naturel gai, d'esprit subtil et porté à la plaisanterie, à la farce. Pour l'époque, c'était un dégourdi. Son long séjour aux armées ne devait pas y être étranger.
Aussi, lui arriva t-il, à de nombreuses reprises, d'user de la candeur, de la crédulité ou de la sottise de ses concitoyens, pour s'en amuser, en toute innocence d'ailleurs. Car, pour blagueur qu'il fut, Lucien, était incapable d'une action douteuse ou indélicate.
Certain jour, où son frère de Preuilly, accompagné d'un ami, était venu à Chaumussay, les trois compagnons concertèrent d'exécuter une bonne farce.
La 'tête de turc' dûment choisie par mon grand père, les plans furent arrêtés. Munis de jalons et de fiches, les trois compères se rendirent au hameau, ou devait se dérouler leur plaisanterie. Le paysan, objet de cette farce, était dans sa grange, en train de battre son blé au fléau. Entendant des voix derrière sa grange, le bonhomme intrigué, s'y rendit. Que vit-il ?
Trois personnages, dont mon grand père, qui était le plus près des bâtiments, paraissant très occupés à aligner leurs jalons ; deux d'entre eux déplaçaient ceux-ci, pendant que le troisième, plus éloigné, regardant dans une boîte de géomètre, (ou quelque chose qui avait cette allure), criait :
- « Plus à droite ; avance un peu à gauche ! etc.
S'approchant de mon grand père, le cultivateur lui dit :
- « Bonjour mon Lucien ! Quoi donc que vous faîtes là, dans mon champs ?
- Eh ! bien, tu le vois bien ? On tire les plans de la ligne de chemin de fer. Tu reconnais bien mon frère ? Et ce monsieur là-bas, c'est l'ingénieur.
- Elle passera donc par ici c'te ligne ?
- Je pense bien, puisqu'elle va couper ta grange.
- Couper ma grange ? Mais, tu n'y penses pas ? Il y a bien de la place à côté ?
- Que veux-tu, mon ami ! Ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça. J'exécute les ordres que me donne monsieur l'ingénieur et c'est tout.
- Il n'y aurait pas moyen de la faire passer ailleurs dis-moi ?
- Il y aurait peut-être un moyen de tout arranger. Seulement ne dis pas à l'ingénieur que ça vient de moi. Si ta femme peut tordre le cou à deux poulets et les faire sauter, on pourra probablement modifier le trajet.
- Je cours lui dire.
Et voilà comment mes trois lascars s'offrirent un bon déjeuner, à la santé du naïf paysan qui, n'ayant jamais vu, chez lui, de voie ferrée, crut s'en être tiré à bon compte. »

De la Villatte aux Jouanets

« Les champs et vignes de mon grand père, à la Villatte, étaient sur une pente qui finissait, dans le bas, par une 'courance' ruisseau à sec par la chaleur, qui déversait, en période de pluie, les eaux des terrains riverains, dans la Muanne. Cette courance creusait son lit entre une double haie de 'bouchures' épaisses, faites d'épine noire, de ronces, de végétaux, arbres et arbustes, poussant tout au long, au gré de leur fantaisie.
Sur la rive opposée à la Villatte, un hameau, les Jouanets étalait à mi-côte ses maisons, étables, granges et meules de paille.
Un jour que mon grand père était à sa grange de la Villatte, il vit les habitants des Jouanets dans leurs champs. Il avait été question, dans la région, quelques jours avant, de chiens enragés. Une idée passa dans le cerveau de mon grand père.
Se dissimulant, il parvint à se glisser dans la courance sans attirer l'attention des voisins d'en face. Puis, à l'aide de son sabot de bois, il se mit à pousser des hurlements, rappelant ceux du chien qui aboie à la mort.
Surpris et inquiets, les paysans se précipitèrent chez eux, les femmes s'enfermant avec les enfants, les hommes reparaissant bientôt armés de fourches.
Pendant ce temps, le mystificateur s'était faufilé beaucoup plus loin, reprenant ses hurlements de plus belle. Courant dans la direction d'où venaient les cris, les braves gens sautaient haies, fossés, sillons, pour gagner de vitesse le supposé chien enragé. Mon grand père, sortant du fourré dans l'un de ses champs, ou il feignit de travailler, fut interpellé par les chasseurs improvisés :
- « Eh ! Lucien ! As-tu entendu ce chien 'malade' ?
- Oui, répondit-il, mais je n'ai jamais réussi à le voir. Ah ! Le voilà qui se sauve du côté de la Muanne »
C'était exactement à l'opposé. Et voilà la chasse qui reprend de plus belle, le pseudo chien en culottes poussant ses hurlements d'un côté, alors que les poursuivants étaient de l'autre.
Cela dura plusieurs heures. Enfin, exténués, les braves gens des Jouanets, n'entendant plus rien, consentirent à rentrer chez eux, non sans avoir, au préalable, fouillé toute la maison, fourches en main et examinés les alentours : buissons, fossés, sans être pleinement rassurés, tant l'alerte avait été chaude.
J'arrête là ces narrations, qui prendraient une partie de ce cahier, s'il fallait les raconter toutes. »

La métive

« En 1851, un enfant, un garçon, qui fut unique, vint égayer l'auberge. L'enfant fut prénommé : Charles .
Un incident assez curieux, qui vaut d'être conté, suivit de près cette naissance.
Le bébé, né en novembre, tétait sa mère. Mais, au bout de quelques semaines, de larges crevasses creusèrent les bouts de seins maternels, au point que les mamelons se détachèrent.
L'enfant ne pouvait plus téter. Que faire ?
Il n'était, à cette époque, question ni de biberons, qui n'existaient pas, ni de lait condensé, pas plus que de farines lactées.
Le gosse avait trois mois. Il fallait aviser. Son grand père pris une décision héroïque. Il mit son fils à la rôtie.
Faisant griller des croûtes de pain, l'on faisait mijoter longuement à petit feu celles-ci dans du vin, coupé d'eau sucrée, jusqu'à ce que la pâtée ait une consistance molle.
C'est cette nourriture qui à l'aide d'une cuiller à café fut administrée au nourrisson. Celui-ci l'appréciait tellement que, pendant que mon grand père plongeait la cuiller dans l'écuelle, il lui fallait avec son petit doigt, fermer la bouche du gamin, qui braillait pour en réclamer davantage.
Et voilà comment il fut élevé au vin, ce qui, sans doute, explique le dédain que, toute sa vie, il marqua pour le lait.

Le grand père n'avait pas assez de terres pour l'occuper à l'année. Aussi, faisait-il la 'métive' autrement dit la moisson, chez qui voulait louer ses services.
C'est ainsi qu'un été, où il travaillait à 3 kilomètres du bourg, dans un champ récemment fauché, à relever des javelles de blé, pour en faire des gerbes, il fut mordu par une vipère.
Plutôt que relever les javelles à la faucille, le journalier, pour gagner du temps, glissait la main dessous. Il fut ainsi piqué au doigt. Ce qui ne l'empêcha pas, d'un coup du talon de son sabot, d'écraser la tête du reptile.
Puis, prenant son couteau, il se fit une entaille au niveau de la morsure et s'efforça de faire saigner la plaie.
Par mesure de prudence, il prit le chemin du retour. Il avait déjà parcouru un bon bout de route, quand il s'aperçut qu'il avait oublié son gilet. Il retourna le chercher.
Lorsqu'il arriva à la maison, le bras était enflé et tuméfié. Le grand père, en hâte, partit à pied, chercher le médecin, à Preuilly, distant de 6 kilomètres. Celui-ci le ramena dans son cabriolet.
A cette époque, le sérum Calmette n'était pas découvert. Aussi le praticien employa t-il les remèdes dont il disposait : incisions sur le bras et cautérisation à l'alcali.
Le malade n'en mourut pas, mais il ne s'en remit jamais complètement ».

La Sinjoirie au XIXème

« Le bourg de Chaumussay étale paresseusement le groupe de ses maisons basses dans la plaine étroite qu'arrose la Claise. Au nord, un coteau presque à pic, supporte, à environ 80 mètres au-dessus de la rivière, un plateau incliné sur ses deux bords. Au point culminant, un hameau, orienté du côté opposé à la Claise, occupe un emplacement de choix, pour la défense de ce terroir. C'est la Sinjoirie, jadis fief seigneurial, devenu gentilhommière par la suite, pour n'être plus de nos jours, qu'une banale maison de fermes, riches en dépendances.
A l'époque où commence ce récit, c'est à dire au début du XIXème siècle, la Sinjoirie était encore une maison de maître. Partant de la grande route, qui relie La Haye Descartes à Châteauroux, une allée, longue de 500 mètres environ, bordée de pommiers, accède aux habitations. Face à cette allée, une double barrière, accolée de chaque côté à une tour ronde, trapue, épaisse, coiffée d'un cône recouvert de tuiles moussues, donne accès à une immense cour rectangulaire, au centre de laquelle trône un puits profond. A droite, la maison d'habitation, toute en rez-de-chaussée, comporte de très grandes pièces, aux murs blanchis à la chaux. Au plafond, poutres et solives en chêne massif, attestent la solidité des bâtiments. Des cheminées monumentales s'encastrent dans les murailles épaisses.
De l'autre côté de la cour et en face de la demeure du maître, les servitudes : écuries, granges, étables, bergerie, porcherie, occupent un autre corps de bâtiments.
Tout au fond de cette cour et face au porche d'entrée, un autre corps de bâtiment renferme la demeure des fermiers, à côté duquel, un logis plus confortable, devait être réservé au régisseur des domaines.
Derrière ce logis, un grand jardin, enclos de murs, se poursuit jusqu'au bord extrême de la crête. En surplomb au dessus de la vallée, une toute petite maisonnette rustique, domine tout l'horizon au sud et permet d'étendre ses regards sur un magnifique panorama.
Sous le règne de Napoléon 1er, le régisseur de ces domaines était mon arrière grand père. Il avait une situation très enviable puisque, outre la Sinjoirie, mon aïeul avait l'administration de tous les biens de ses maîtres dans le voisinage de sa demeure.
De plus, il possédait la pleine et entière confiance des propriétaires, qui le laissaient administrer leurs biens, mobiliers et immobiliers.
Mais, les affaires de ces gens ne tardèrent pas à péricliter. Menaient-ils en la capitale un train de vie hors de proportion avec leurs revenus ? Leurs affaires étaient-elles moins bien gérées qu'auparavant?
Toujours est-il que, quelques années après la mort de mon aïeul, les domaines que celui-ci administrait furent mis en vente. »

(à suivre)

Chapitre précédent Chapitre suivant
Si vous avez des documents ou informations...
vos remarques et suggestions webmaster@chaumussay.com
Mise à jour V2.0 Ven 11 juin 2010